1975 : j'ai 30 ans et je pars en Éthiopie pour travailler comme agronome dans les basses terres arides de la vallée du Rift. Je vais vivre avec les pasteurs Afar, qui viennent de subir une terrible famine, pour les aider à reprendre pied. L’empereur Hailé Sélassié vit encore, quoique prisonnier dans son palais. Je remonte de temps en temps à Addis Abeba, la capitale, pour y respirer l'air frais des hauts plateaux et résoudre les inévitables questions administratives. À l'occasion, j'en profite pour visiter des expositions de peinture moderne éthiopienne. J'y fais la connaissance d’artistes dont beaucoup deviennent des amis et m’initient aux arts plastiques.
À mon insu, je deviens collectionneur : en 39 ans ─ je vis toujours en Ethiopie ─ j'achète des dizaines d’œuvres qui m'ont « tapé dans l’œil ». Dans les années quatre-vingt, je rencontre des artistes éthiopiens âgés qui peignent des motifs traditionnels sur de grandes toiles : scènes guerrières ou de la vie rurale, fêtes religieuses et même politiques, etc.
Un régime militaro-marxiste a alors destitué l’empereur. Seuls quelques peintres officiels sont favorisés, et ces vieux artistes manquent de pigments. Je leur procure des couleurs en poudre que j'achète à Montparnasse, lors de mes vacances en France. Comme ces peintres ont alors perdu leurs acheteurs habituels, ils me proposent leurs œuvres à la vente. D'instinct, j'aime ces tableaux et en achète plus que je ne le veux vraiment. Aujourd'hui, ces peintres ne sont plus, mais leurs œuvres représentent un patrimoine unique encore méconnu.
En 1995, un historien anglais me demande de reproduire des photographies d’archives pour illustrer un livre d’histoire sur l’Ethiopie. Je me passionne alors pour ce travail de collecte de photos anciennes : je côtoie les descendants des grands chefs féodaux et j’accède aux clichés des photographes étrangers de la belle époque (1868-1974). Pour moi, ces photographies expriment l’ambiance du passé et sont de précieux témoignages de l'histoire. Je constitue ainsi une collection impressionnante de photographies d’archives ; celles de l’empereur Hailé Sélassié ont fait l'objet d'une édition. Dans les années 2000, j’aperçois sur le bord d’une route les sculptures de Desso Hordofa, un sculpteur-paysan autodidacte. Elles sont très fortes. Je lui en achète une quinzaine au fur et à mesure de mes rencontres amicales avec lui. Sculptures, photos, peintures traditionnelles et modernes : tout sommeille chez moi, en France. Cette collection témoigne de la fin d’un monde millénaire qui s’est éteint avec Hailé Sélassié, et de la douloureuse gestation d’une Ethiopie nouvelle, trois fois plus peuplée, dont l’économie est une des plus dynamiques au monde.
Puisse la mise au jour de ces images étonnantes éveiller en vous l’intérêt pour ce pays si mal connu, longtemps caché, qui vit une mutation sans précédent. La municipalité de Marnaz, en Haute-Savoie, nous offre aujourd’hui cette chance.